Transformation des chaines de production : l’exemple des semi-conducteurs

Actualités
About Us - Homepage

Des chaines d’approvisionnement chinoises et non chinoises, une politique de diversification des grandes entreprises internationales en Asie au profit des pays de l’Asean et un déplacement partiel et progressif d’une partie des chaines de l’Est vers l’Ouest, voici ici quelques esquisses de tendances qui semblent façonner les transformations des chaines d’approvisionnement mondiales dans le monde des semi-conducteurs à l’heure post Covid -19.   

Un remaniement fondamental des flux d’échanges commerciaux est à l’œuvre en ce début d’année 2023 dans de multiples secteurs et l’industrie des semi-conducteurs ne fait pas exception. Les causes de ce changement sont à chercher dans des basculements : quand la Chine est entrée dans le système commercial mondial en 2001 via son entrée dans l’OMC, elle a été accueillie avec bienveillance par les autres acteurs. Aujourd’hui, il existe des craintes croissantes quant aux intentions de la Chine vis-à-vis de ses voisins. La pandémie de Covid-19 a mis en exergue des vulnérabilités commerciales de certaines régions qui ont fini par miser sur un seul pays pour des approvisionnements en produits essentiels à la sécurité sanitaire ou à l’indépendance technologique.

Les rivalités géopolitiques s’intensifient, en particulier entre les Etats-Unis et la Chine, à tel point que « le doux commerce » n’est plus seulement une question d’échanges. Il sera façonné, et dans de nombreux cas limité, par des considérations géopolitiques. Le rôle central que joue la technologie dans la prééminence économique et militaire justifie l’extension de certaines restrictions au commerce et à l’investissement. Le dernier exemple en date est l’accord signé entre les gouvernements du Japon, des Pays-Bas et des Etats-Unis qui  limite les exportations d’outils de fabrication de semi-conducteurs avancés vers la Chine.

Dans la période qui s’ouvre, les résultats commerciaux seront de plus en plus façonnés par les interventions des gouvernements, principalement sous la forme de restrictions commerciales, et de subventions, et par l’accès ou non à zones commerciales préférentielles. Comment les entreprises internationales s’adaptent à ce nouveau paysage ? Nous avons pris quelques exemples dans le monde de la tech.

Les semi-conducteurs : une question de sécurité nationale

Lu Keh-Shew Lu, un vétéran de l’industrie des semi-conducteurs pense que les entreprises doivent se préparer à  une double évolution : la coexistence future de chaînes d’approvisionnement chinoise et non-chinoise  en raison des tensions géopolitiques entre Washington et Beijing  et la prééminence du politique sur les considérations commerciales en matière d’investissement.  Monsieur Lu est aujourd’hui à la tête du fabricant de semi-conducteurs Diodes et il observe les changements en cours.  « Un approvisionnement durable et sûr en semi-conducteurs est devenu une question de sécurité nationale. La façon de penser notre industrie des semi-conducteurs était autrefois très commerciale. Ce qui était recherché c’était des coûts de production faibles.  Aujourd’hui, cette logique ne fonctionne pas toujours». “Si la sécurité de l’approvisionnement en semi-conducteurs équivaut à la sécurité nationale, chaque pays qui en est capable veut prendre le contrôle total de sa chaine de production. À l’avenir, des économies clés comme celles des États-Unis, du Japon, de l’Allemagne et de la Chine, voudront accélérer le passage à une production de semi-conducteurs sur leur propre territoire.”

Diodes est un fournisseur de semi-conducteurs pour Apple, Samsung et Sony, ainsi que pour de nombreux constructeurs automobiles mondiaux.  La société a réalisé un chiffre d’affaires d’1,8 milliard de dollars en 2021. Pour les fabricants de semi-conducteurs, voici la stratégie à avoir selon monsieur Lu : “Si [votre] production est en Chine, elle servira le marché local chinois, tandis que la production dans les sites non chinois sera destinée au reste du marché mondial. … La scission ne se fera peut-être pas du jour au lendemain, mais les entreprises doivent être capables de le faire afin de fonctionner dans ce nouvel environnement économique.” Et d’ajouter : “Les tensions géopolitiques entre les deux superpuissances chinoise et américaine sont là pour durer, c’est sûr”. Diodes elle-même va devoir s’adapter. Aujourd’hui, la plupart de ses semi-conducteurs, y compris ceux sous-traitées à des fonderies sous contrat, sont fabriqués en dehors de la Chine. Les installations internes d’assemblage et de test des semi-conducteurs sont toujours principalement en Chine. A l’avenir, « nous devons réfléchir à d’autres bases de production pour le conditionnement, l’assemblage et le test de nos propres semi-conducteurs”. « Le principal moteur de croissance pour la prochaine décennie ou plus proviendra de l’électrification des automobiles, dont les voitures électriques ne seront qu’une partie ».

TCMS : une stratégie de diversification géographique  

Les entreprises comme TSMC ou Intel sont en train d’appliquer des politiques de diversification géographique en réponse aux tensions sino-américaines et à la demande de leurs gros clients. C’est ainsi que la taïwanaise TSMC construit des usines aux Etats-Unis, au Japon et bientôt en Europe. L’américaine Intel dont la stratégie a été longtemps de concevoir mais de ne pas fabriquer de semi-conducteurs a changé sa stratégie du tout au tout. Elle revient à une activité de fabrication, de fonderie, avec des usines en construction aux Etats-Unis et en Europe. Plus loin dans la chaine de production des smartphones, le taïwanais Foxcoon a décidé de transférer une partie de l’assemblage des iphones d’Apple de la Chine vers l’Inde. Cette décision fait suite à une demande d’Apple. Et d’autres entreprises américaines d’informatique comme Dell ou HP sont en passe de suivre le même chemin.          

Cap sur l’Asie du Sud-Est et le Mexique comme zone d’assemblage

Plusieurs fournisseurs taïwanais de semi-conducteurs ont décidé d’augmentent leur capacité de production au Mexique pour répondre à la demande croissante de voitures électriques et de serveurs informatique à fabriquer sur le continent américain. On assiste à un déplacement progressif de certains blocs de la chaîne d’approvisionnement de l’Est vers l’Ouest. Foxconn a récemment établi un siège social au Mexique afin de centraliser la gestion de ses filiales et de ses groupes commerciaux dans le pays. L’assembleur d’iPhone, qui compte également parmi ses clients Google et AWS d’Amazon, a fait des véhicules électriques son prochain moteur de croissance dans un contexte de ralentissement du marché des smartphones. Les start-ups américaines de voitures électriques Lordstown, Fisker et INDI EV figurent parmi les nouveaux clients de Foxconn dans le secteur automobile. Le Mexique est l’un des sites clés pour les investissements stratégiques de l’entreprise en 2023. Toujours concernant des semi-conducteurs destinés aux voitures électriques, Foxconn disposera de trois options de fabrication américaine locale pour ses clients d’Amérique du Nord dans l’Ohio, le Wisconsin et le Mexique.

D’autres entreprises taïwanaises comme Pegatron, assembleur d’iPhone, Quanta Computer, fabricant de MacBook, Compal Electronics, fournisseur d’iPad, et Inventec, fabricant d’ordinateurs portables pour HP et Dell ont tous l’intention de renforcer leur présence au Mexique cette année. Ces entreprises sont des acteurs clés de la production de serveurs informatiques et de centres de données. Comme Foxconn, elles ont alloué davantage de ressources pour capter la demande de l’industrie des véhicules électriques ces dernières années. Le choix du Mexique marque une nouvelle tendance dans la diversification de la chaîne d’approvisionnement. En 2018, ces entreprises ont d’abord commencé à déplacer la production des serveurs, des routeurs et des consoles de jeux de la Chine vers Taïwan et l’Asie du Sud-Est. C’était un moyen d’atténuer l’impact de la guerre technologique sino-américaine et donc de la hausse des droits de douane américains sur les produits chinois. “Nous avons étendu nos capacités à Taïwan et en Malaisie, mais les clients ont dit que ce n’était pas suffisant. Ils veulent maintenant être encore plus proches du marché nord-américain” selon le vice-président de Pegatron, Jason Cheng. Sa société qui sert également Tesla et General Motors, a réservé 300 à 350 millions de dollars de dépenses d’investissement annuelles pour le Mexique et l’Asie du Sud-Est en raison des demandes croissantes des clients en matière de diversification et de rapprochement de leur marché final. Compal et Quanta suivent le mouvement. Selon le président de Compal, Martin Wong, l’entreprise allait augmenter la capacité de son usine mexicaine pour son activité électronique automobile. Quanta, quant à elle, augmente ses embauches d’ingénieurs mexicains spécialisés dans les systèmes informatiques électroniques automobiles. Chez un fournisseur d’HP et Dell, on souligne : “nous construisons une nouvelle usine de fabrication au Mexique pour l’assemblage de serveurs et d’ordinateurs portables”.

L’impact de la politique industrielle américaine : Chip and Science Act, Inflation Reduction Act

L’accélération des investissements des fournisseurs de technologies au Mexique intervient dans un contexte politique favorable. L’Inflation Reduction Act (IRA) du gouvernement américain, qui est entré en vigueur en août 2022, vise à stimuler la fabrication industrielle américaine. Elle fixe notamment des conditions pour que la production locale, comme l’assemblage de voitures électriques en Amérique du Nord, puisse bénéficier de crédits d’impôt. Dans un rapport sur les chaînes d’approvisionnement publié en 2022, le ministère américain du commerce a mis en garde contre le fait que la fabrication de serveurs, de centres de données et d’équipements de réseau – des éléments ayant des implications pour la sécurité informatique – restait largement concentrée en Asie. Cette situation est perçue comme un risque pour la sécurité de la chaîne d’approvisionnement. Or, les fournisseurs de high tech taïwanais ont depuis des décennies  des usines de fabrication d’appareils ménagers et d’ordinateurs au Mexique. “Il y avait des signes que les sociétés taïwanaises technologie investissaient de manière croissante au Mexique, mais la tendance est devenue plus évidente ces derniers mois, surtout après l’adoption de l’IRA américain” selon un analyste taïwanais. Il reste à savoir quelle sera l’ampleur de ce changement et son impact sur les flux de marchandises mondiaux.  

Needs expert call ?

From navigating the semiconductor landscape to understand geopolitical complexities, our experts are here to help.

Tags :
Share This :

2 réponses

  1. Je découvre vos articles sur un sujet dans lequel je ne suis pas spécialisée mais qui m’intéresse beaucoup. Merci pour ces données.
    J’ai toutefois une question : vous dites que “[ce] doux commerce […] sera façonné, et dans de nombreux cas limité, par des considérations géopolitiques”.

    Peut-on voir la chose dans l’autre sens : la très faible concurrence (sauf erreur, TSMC occupe ~50% des parts du marché), la demande toujours croissante d’un produit stratégique et indispensable etc) ne font-elles pas de l’industrie du semi-conducteur une industrie qui façonnent fortement les dynamiques géopolitiques ? Mon raisonnement est-il erroné ?

    Encore merci pour vos articles.

    1. Bonjour Eleonore, vous avez absolument raison. Les interactions entre les acteurs industriels de cette industrie et les dynamiques géopolitiques sont multiples et ne se résument pas à aller dans un seul sens. On parle à Taïwan du “Silicon shield” par exemple. Il faut aussi ensuite décomposer les interactions en fonction du type de semi-conducteurs et de leur usage. C’est un vaste sujet. Ravie que ces articles vous intéressent. Bonne lecture.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Latest Articles