Durcissement de l’affrontement technologique

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Le secteur des semi-conducteurs est un des terrains d’expression de la rivalité technologique entre la Chine et les Etats-Unis. Une course de vitesse se joue entre les deux plus grandes économies mondiales pour augmenter leurs capacités de production et garantir à leur économie domestique un accès suffisant aux semi-conducteurs. S’assurer d’un approvisionnement stable en semi-conducteurs est indispensable pour tout Etat qui se revendique être une grande puissance.

La pandémie de Covid-19 a mis en lumière la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales pour la fabrication de nombreux produits y compris pour les semi-conducteurs. La pénurie de ces derniers a généré en 2021 des pertes financières pour certains constructeurs automobiles obligés parfois de stopper net leur production. Ce fut le cas parmi d’autres de Toyota, de General Motors, de Renault et de Peugeot. Les tensions sur les approvisionnements de semi-conducteurs obligent des sociétés de télécommunication à allonger leurs délais de livraison (appareil de connexion internet) de plusieurs mois faute de semi-conducteurs.  

Face à cette situation nouvelle, la Chine a augmenté son volume de production de semi-conducteurs dès 2021. Les Etats-Unis ont adopté une nouvelle législation le 9 août 2022, le Chips and Science Act[1]. Cette loi négociée pendant des mois au Sénat américain va permettre d’augmenter les capacités de production de semi-conducteurs sur le territoire américain. Des usines sont en construction. Mais, il va falloir entre deux à trois ans pour qu’elles produisent leur semi-conducteurs tant leur fabrication est techniquement complexe. Second volet du Chips and Science Act : il limite les transferts de technologie vers la Chine pour les semi-conducteurs les plus haut de gamme (c’est-à-dire en dessous de 14 nanomètres). En microélectronique, plus le semi-conducteur est petit, plus sa technologie est avancée (calculs plus rapides, moins de perte d’électricité). En dessous de 14 voire de 7 nanomètres, on est dans le haut de gamme. Deux entreprises, TSMC, basée à Taïwan, et Samsung en Corée du Sud sont les seules bientôt capables de produire des puces de 3 nanomètres.

Le Chips and Science Act marque le début d’une nouvelle ère à double titre : tout d’abord, pour le commerce mondial car il bouleverse un certain nombre de règles et ensuite en matière de géopolitique. Il va peser sur la rivalité technologique sino-américaine. Cette loi adoptée par le Congrès et signée par le président Biden vise à contrer et à contenir les ambitions technologiques chinoises ainsi qu’à préserver l’avance des Etats-Unis dans certaines technologies clés. Le texte prévoit environ 53 milliards de dollars de subventions pour la fabrication de semi-conducteurs. 200 milliards de dollars seront octroyés à la recherche américaine sur l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et d’autres technologies de pointe, autant de domaines que le gouvernement chinois a désigné dans son plan « Made in China 2025 » comme des priorités nationales. La volonté du gouvernement américain de relocaliser une partie de la production de semi-conducteurs aux Etats-Unis est si forte que son aide financière pourra bénéficier à des entreprises américaines, certes, mais aussi à des sociétés non-américaines. Ce pourrait être le cas de la taïwanaise TSMC, de la sud-coréenne Samsung voire d’autres encore, qui sait ? Aucune aide n’est destinée à une entreprise chinoise. La nouvelle loi interdit à tout bénéficiaire des subventions américaines d’accroître la production de semi-conducteurs « en Chine “ou «dans tout autre pays étranger préoccupant”.

L’un des objectifs de cette loi est le découplage économique entre Etats-Unis et Chine et le cloisonnement des chaînes d’approvisionnement stratégiques. Il ne fait pas oublier que les semi-conducteurs sont utilisés dans les voitures électriques, les smartphones, les ordinateurs mais aussi dans les missiles, les avions de chasse, les tanks et les sous-marins. Sur le plan économique, le Chips and Science Act revient à inverser 30 ans de délocalisations, un des piliers de la mondialisation et de la constitution de firmes multinationales. On peut dire à grands traits que le secteur des semi-conducteurs s’est structuré très progressivement à partir des années 1980 en segmentant les phases d’un processus technologiques extrêmement complexe. Le design des semi-conducteurs est réalisé surtout par des entreprises américaines. La production, appelée fonderie, se déroule à 80% en Asie, à Taïwan, en Chine, en Corée du Sud et très peu aux Etats-Unis ou en Europe. Enfin, le packaging et le test des semi-conducteurs est dévolu à des entreprises chinoises ou indiennes par exemple avant qu’elles n’expédient les précieux composants aux industriels du monde entier.

Cette chaîne d’approvisionnement internationale n’a pas posé de problèmes jusqu’à une période récente quand le monde était sans virus extrêmement contagieux et sans guerre ou crise dans des zones de production essentielles pour l’économie mondiale. Ce monde-là a disparu. La pandémie de Covid-19 a entrainé des ruptures majeures dans cette chaîne d’approvisionnement qui apparait aujourd’hui bien trop vulnérable. La guerre en Ukraine a plus largement montré comment d’autres chaînes d’approvisionnement énergétiques pouvaient être totalement désorganisées en quelques semaines. Où sont passés le libre-échange et la libre-circulation des marchandises cher à l’économie classique ? Où sont les piliers de l’Organisation Mondiale du Commerce ?

Les règles du jeu semblent avoir changées. Le Chips and Sciences Act américain est seulement un des signes de ce bouleversement car il faudrait aussi parler du « chip Act européen, chinois, japonais, coréen, taïwanais ….et de toutes les politiques publiques qui permettent aux Etats d’être dans la course aux puces, Chine et Etats-Unis en tête.  Ces différentes politiques soulignent ensemble un changement de paradigme qui loin d’être occidental est mondial. Les engagements pour le laissez-faire économique et l’ouverture des marchés sont délaissés pour aller vers des formes de commerce gérées en particulier pour les secteurs sanitaires et stratégiques. Aux Etats-Unis, le berceau de la pensée libérale, les élites politiques et militaires ont décidé que la priorité était à ce qu’ils voient comme la consolidation de la suprématie américaine en temps de guerre économique. Et l’adversaire désigné est la Chine. Vu de Beijing, la guerre des semi-conducteurs est bien engagée. Le principal frein au développement de l’industrie des semi-conducteurs est l’administration Biden.

L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche en janvier 2021 n’a pas modifié la politique américaine de limitation des transferts de technologie à des entreprises chinoises. Avant lui, Donald Trump avait interdit à l’entreprise de télécommunication Huawei d’utiliser le logiciel Android de Google dans ses smartphones. Joe Biden a décidé de limiter l’octroi de licences à des entreprises américaines, Nvidia ou ARM,  pour exporter le design des puces haut de gamme. Et dernièrement, il semble que cette interdiction pourrait aussi toucher les exportations de puces de moyenne et bas de gamme. Ces décisions bouleversent l’industrie chinoise de production des puces et remet aussi en question le modèle commercial globalisé des plus grands acteurs mondiaux des semi-conducteurs, d’Intel à Qualcomm, de TCMS à Samsung.

Au total, le Chips and Science Act octroie jusqu’à 250 milliards de dollars pour stimuler la compétitivité des entreprises et des laboratoires de recherche américains. Le panel des outils fiscaux utilisés par l’administration Biden couvre les subventions, les crédits d’impôts, les incitations à la recherche et au développement sur le segment des semi-conducteurs. Cet effort budgétaire s’explique aisément : ces puces sont indispensables à l’économie digitale.

Les dirigeants chinois et en particulier Xi Jinping l’avaient tout autant compris en subventionnant et en investissant des sommes considérables dans l’industrie des semi-conducteurs depuis quelques années. Cette industrie a enregistré des gains importants pour des produits dits traditionnels (au dessus de 14 nanomètres). Les fonderies[2] chinoises ont enregistré des ventes record en 2021, poussées à l’époque par une demande mondiale en hausse et une pénurie là-aussi mondiale. Cependant, l’essentiel de cette croissance se situe sur les semi-conducteurs d’anciennes générations. Et, les investissements chinois en recherche et développement n’ont pas permis, pour le moment, un rattrapage technologique des entreprises chinoises sur les semi-conducteurs avancés haut de gamme (de moins de 7 nanomètres). La question aujourd’hui pour les autorités chinoises est de déterminer comment réorienter les investissements pour améliorer les performances de l’industrie chinoise dans les semi-conducteurs haut de gamme sans l’apport des entreprises de design américaines qui en assurent la conception. Le risque pour la Chine pourrait être de souffrir à son tour d’une pénurie des semi-conducteurs les plus sophistiquées.

Un premier constat est déjà réalisé par la vice-présidente de la China Semiconductor Industry Association (CSIA), une organisation chinoise d’État. Pour Yu Xiekang, il existe des “obstacles insurmontables”. Il est impossible pour la Chine de s’attaquer seule aux goulets d’étranglement dans le domaine des équipements et des matériaux pour semi-conducteurs. Elle suggère que le pays envisage d’autres voies, telles que le renforcement de ses capacités sur certains segments du marché. Hu Wenlong, vice-président d’une entreprise chinoise de test et de conditionnement de semi-conducteurs, ne prend pas de pincettes : “Les matériaux et équipements chinois pour les puces ne sont pas encore assez performants pour remplacer les importations”. Il plaide pour une coopération nationale et internationale plus étroite pour renforcer les capacités de la Chine : “Si l’industrie chinoise des puces semble bien se porter – si l’on en croit les données sur les ventes – ses technologies de base laissent beaucoup à désirer”.

EP


[1] Chip and Science Act, 9 août 2022, FACT SHEET: CHIPS and Science Act Will Lower Costs, Create Jobs, Strengthen Supply Chains, and Counter China – The White House

[2] L’activité de fonderie consiste dans la seule fabrication des semi-conducteurs. Les étapes de conception, le design, et de finalisation, packaging et tests sont souvent réalisées par d’autres entreprises.  

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